Brusque intrusion de l’étrange dans la vie ordinaire…
Ce matin dans la rue, se rendant à son travail, Grise a l’impression qu’elle est devenue invisible. Et les événements les plus inexplicables se succèdent: sa station de métro s’avère inaccessible, les aiguilles de la grande horloge sont bloquées sur 9h32, et, quand elle revient sur ses pas pour rentrer chez elle, sa rue a disparu.
Perplexité d’abord, puis anxiété. Les manifestations de l’irrationnel se multiplient… Rêve, hallucination, machination? Le mystère s’épaissit, l’angoisse monte, l’urgence gagne. Peu à peu, la tangibilité du monde devient floue tandis que Grise voit son être perdre sa propre lisibilité, s’effacer progressivement.
Que restera-t-il au bout de cette folie qui, paradoxalement, n’est pas sans provoquer parfois une certaine jubilation? Quand les frontières qui séparent le réel et l’irréel seront complètement évanouies, que va-t-elle trouver?
Sandrine Rotil-Tiefenbach, romancière, poète, illustratrice, peintre et photographe, est l’auteur de Sarah K. 477, roman (éditions Que); J’air, roman (éditions Michalon) et Dernière fin du monde avant le matin, poésie & aquarelles (éditions Mélis). Elle signe également nouvelles, chroniques, poèmes ou images au sein de différents anthologies et collectifs, reconnus ou underground.
Postface de Jean Orizet
Une belle œuvre par le sujet et surtout par la forme et le style.
Pierre-Robert Leclercq
«J'ai toujours eu un problème relationnel avec le temps...» déclare quelque part la narratrice (fictive?). A moins que ce ne soit l'auteur. Ce matin-là, rien n'est pareil. Dans la rue, nul ne la voit, nul ne lui répond lorsqu'elle essaie d'engager la conversation. Ou plutôt, les seules personnes qui semblent dans son monde sont encore plus fantomatiques qu'elle. Elle se croit d'abord dans un rêve, puis dans un jeu. Enfin, dans l'au-delà. Tout lui semble «anormalement normal». Encore un problème de temps et d'espace. Un serpent qui se mord la queue. Au fond, [...] avant tout un problème d'écriture d'ailleurs matérialisé par une submersion d'encre. Inutile d'appeler Nerval ou Borges à la rescousse. L'écrit se suffit largement à lui-même.
Jacques Lovichi - La Marseillaise
Des chapitres courts d’une extrême densité et particulièrement bien ciselés, une grande maîtrise formelle qui se dégage du début à la fin de l’oeuvre. Une temporalité théâtrale, matin, midi, après-midi et soir, où chaque mot est pesé, chaque effet est pensé avec une grande justesse, une efficacité redoutable. Comme une pierre normale qu’on aurait poli pour en faire un diamant, grâce à un savoir-faire inouï. Cette impression d’être à chaque ligne dans la substantifique moelle de la phrase, celle qui donne le plus de sens et d’émotions. [...] La Littérature c’est ce qui n’est ni la peinture, ni la musique, ni le chant, ni la danse, ni le théâtre, ni le cinéma. C’est ce qui ne se dit pas autrement que par la prose.
Celle de Sandrine Rotil-Tiefenbach est éminemment poétique, sensitive, fantasmagorique et forte, comme une empreinte, il y a une patte, une griffe, des yeux de chat sur le monde.
Frédéric Vignale - Le Mague
Cette «allégorie littéraire», dont on ne donnera pas l’explication finale, nous fait pressentir le désarroi de vivre, quand tout nous échappe. On imagine aisément que «la poésie est une colère politique». Non seulement cet effacement peut arriver à chacun, mais certains le vivent dans leur chair, douloureusement, soit que des bombes leur tombent sur la tête, soit que l’avenir soudain s’enraye. Sandrine Rotil-Tiefenbach écrit de façon haletante. «La musique me fond dessus comme un pélican sur un porteur d’écailles.» Une «petite absence» à découvrir.
Pierre Perrin - Traversées
Qui me croira?
Encore faudrait-il que je trouve à qui parler. Et que les mots me viennent. Pourquoi y penser?
Il n’y a personne.
Les silhouettes que je croise ne semblent pas me remarquer. Ni m’entendre. Ni même me sentir. J’ai essayé. Oui, j’ai essayé d’en attraper une, là, fermement. Pour qu’elle s’arrête, me regarde et m’écoute.
Je voulais qu’elle me dise si elle était du quartier. Je cherchais la rue des Marronniers et ne la trouvais pas. La fille ne m’a pas regardée, n’a pas ralenti. Lorsque mes doigts se sont refermés sur son avant-bras, elle a manqué trébucher, puis s’est dégagée et a poursuivi sa route comme si je n’existais pas.
Je l’ai suivie. Elle marchait vite. J’ai couru devant elle pour l’obliger à stopper. Mais, tel un train sur ses rails, elle fonçait sans prêter la moindre attention à ce qui l’entourait. J’ai sautillé à ses côtés, hurlé à moins de dix centimètres de ses oreilles. Peine perdue! Ce petit manège a bien duré une cinquantaine de mètres. Je ne voulais pas lâcher prise. Je ne le pouvais plus. Il fallait qu’elle me réponde. Si elle ne réagit pas, qu’en sera-t-il avec les autres? D’ailleurs, combien cela faisait-il de temps que je m’efforçais, en vain, d’attirer l’attention? Je n’allais tout de même pas refaire ce cirque avec chaque passant!
Passante plutôt… Oui, étrange.
Pourquoi n’ai-je pas réalisé cela avant? Jusqu’ici, je n’ai croisé que des filles. Pas un homme.
Et je ne sais toujours pas où est la rue des Marronniers. C’est idiot. Je la connais bien, pourtant. Je veux juste savoir où elle est. J’y habite! Et je voudrais bien, maintenant, pouvoir rentrer chez moi.
Je m’appelle Blanche. Mais ce prénom ment. Trop pur, trop virginal pour l’écorchée que décrivent les rares papiers ayant eu la curieuse idée d’évoquer mes livres. Je suis tout sauf immaculée.
Je n’ai aucune couleur.
Je ne suis ni blonde ni brune, ni rousse ni noire, ni blanche. Mon type de poil, ou ce qui s’en rapprocherait le plus, est châtain. Encore que, châtain signifie quelque chose, entre blond foncé et auburn avec toutes les nuances possibles. Cela suppose des reflets chevauchant des bruns clairs et sachant raconter des histoires entre ombres et lumières. Mes cheveux à moi, n’ont aucun reflet.
Ma peau est bâtarde. Elle ne noircit pas au bronzage, mais rougit puis dore, comme celle d’une volaille dans un four.
Seulement, au soleil, je n’y vais jamais, et mon séjour permanent entre les artères de la ville me confère à longueur d’années des couleurs d’écorces et de murailles.
Grise.