Jamais, peut-être, la littérature engagée n’a été aussi nécessaire, tant sont considérables les forces d'un monde marchand qui s’emploie à museler la création authentique. Une littérature en lutte sur tous les fronts d'une société soumise aux diktats de la course au profit mortifère: littérature politique refusant la fatalité autoproclamée du système ultralibéral, et combattant racisme, colonialisme et néocolonialisme; littérature écologique face au saccage aveugle du vivant et à l'urgence vitale de l'action climatique; littérature militante en faveur de la cause féminine et des minorités ignorées ou bafouées; littérature alternative frappant aux portes du futur et tentant d'en réorienter le cours; littérature expérimentale, enfin, opposant aux stéréotypes de la langue étatique et mercantile l'audace et la liberté de la parole créative.
Les riches posaient la morale publique comme expression de la faiblesse car seule valait la loi des compétiteurs. Compromission, corruption, cupidité, aveu de faiblesse: voilà leur morale. Où est la vérité lorsque chacun est contraint au calcul, à tricher, à montrer deux visages? Clientélisme infantile de la social-démocratie: se réclamer de la faiblesse –celle des autres, de la masse– à devoir protéger. La faiblesse comme racine de la force!
Anne Vernet, Les Années sans date
Les autres espèces ont disparu. Nous sommes les seuls organismes vivants sur la Terre. Il paraît que ça s'appelle l'évolution. Il paraît que l'homme est un être évolué. Il paraît que notre existence s'est considérablement améliorée grâce aux avancées technologiques il paraît. Il paraît que notre atmosphère est stérilisée notre quotidien rentabilisé notre avenir tracé. Il paraît que notre vie est idéale. Il paraît que c'est le bonheur.
Rozenn Guilcher, Futura
Mais pour répondre à ton ironie: oui je suis noire, et alors? Je n’ai pas choisi, mais j’aime la belleté de ma noirceur, c’est l’astre soleil qui me l’a donnée. Naturellement, personne ne t’empêche de t’identifier à «nos ancêtres les Gaulois» qu’on nous enseigne à l’école –là encore, seul leur passé était noble et leur Histoire à savoir, frappant ainsi d’interdiction la nôtre, et de néant nos arbres généalogiques. Mais moi, je veux correspondre avec mes racines «nos ancêtres les esclaves».
Monette Besry, L'Arbre des anonymes
On est optimiste pour se débarrasser de la condition humaine, c’est plus simple, donc on dit que ça va changer, que tout va bien se passer, que le monde est beau... et donc on n’entreprend rien, c’est un optimisme inactif, branleur, je sais, l’image est forte, qui ne veut pas vraiment changer les choses et préfère rester optimiste, c’est plus simple, pas d’effort... un optimisme merdeux, comme dirait mon père.
Mathias de Breyne, L'interview
Un voyant des voyelles
Les semblables s’agrègent, surtout s’ils se savent différents.
Nous sommes ces parias littéraires dont on voit les silhouettes bouffonnes se refléter dans les regards de biais,
Ces métèques dérisoirement exotiques montant gauchement à l’assaut des forteresses rhétoriques
Ces risibles novilleros plantant à contretemps leurs simulacres de banderilles dans l’ombre des taureaux syntaxiques.
André Bonmort, Ils ont tué l'albatros