Il aura fallu la multiplication et l’accélération des menaces pour nous en convaincre: l’humain seul n’est rien. Le vivant est Un et indivisible.
Un système prédateur, basé sur l’accumulation illimitée, a rompu les pactes vitaux et imposé son dogme, fracturant l’humanité et outrageant la nature.
Face à cette emprise aliénante et à son endoctrinement, la langue est un premier bastion de résistance.
Vaste polyphonie, ce livre donne la parole à tous les maillons de la chaîne du vivant, renouant avec l’unité oubliée du corps sidéral. Les voix révoltées s’insurgent contre les dérives mortifères et exhortent à retisser «la fertile étoffe d’alliance».
Dixième livre d’André Bonmort, Corps sidéral prolonge et accentue le cheminement littéraire engagé à travers Danse avec l’hydre, jetant des ponts entre les genres et mettant en pratique la nécessité de «briser notre grille de lecture du monde pour en agencer autrement les éclats».
Je parle des strates insondables de sous-mondes emprisonnées derrière les lourds barreaux d’une amnésie collective qui a imprimé sur eux ses rayures de nuit.
Je parle de populations entières d’hommes et de femmes foulés aux pieds. Qui s’échinent à vivre. Et que l’on décourage. À l’Inquisition réinventée! Au climat emballé! À l’atome concassé! À la pandémie revisitée! À la menace sans répit réincarnée…
Et le liquide vermillon coule par habitude, par tradition.
Par inadvertance.
Par voie de conséquence. Coule des corps et des esprits ébréchés, abreuve les sillons.
Et si bras câlins et jambes agiles finissent membres mutilés ou prématurément usés, quelle importance.
Et si des cerveaux censés s’épanouir rizières de l’amour, fontaines des poèmes, finissent simple bouillie rose sur le vert d’un pré, sur l’ocre d’un désert ou entre les cloisons transparentes d’un bureau paysagé, qui s’en émeut, c’est la loi de la guerre.
Nous avons fait vœu de silence, vœu de transparence,
Il nous faut nous hisser toujours plus haut sur l’échelle de l’abaissement,
Ils nous veulent invisibles et inaudibles, moines du moindre et de la mouise.
Les réducteurs de têtes ne nous accorderont pas un pouce de répit, ils tirent continûment sur la ficelle de notre endurance, ne s’interrogent ni sur notre patience ni sur notre passivité, elles sont des avantages acquis.
Arsenal des bouliers sabliers agendas métronomes télescopes caméras et tous alliés éprouvés dont disposent les ploutocrates qui gèrent l’espace et le temps de la planète, fixent le tempo de nos vies, leurs limites auxquelles en mesure nous nous cognons, sous-fifres interchangeables, douteux rejets d’humanité, greffons mal entés sans espoir de jamais fructifier, nos têtes dodelinantes soumises à leur musique.
Confiants dans le potentiel du pire, les prédateurs n’avancent pas masqués, jour et nuit crépitent les enchères sur la planète, j’achète je vends je vends j’achète, j’achète lot de terres agricoles en Éthiopie sous réserve d’évacuation des paysans, j’achète droit à polluer dans le port d’Abidjan et complicité tarifée des douaniers, je vends beau morceau de banquise fonte en cours détroit possible, je vends superbes coupes sombres en Amazonie question indienne sous contrôle, je vends mines de diamant congolaises à saisir avant fin rébellion, j’achète matières premières alimentaires exonérées de traçabilité, j’achète gaz de schiste et nappe phréatique d’un seul tenant…
Les transactions s’effectuent au grand jour, la transparence est de mise, puisque l’infamie est admise.
Vous! Peau! Vous! Peau! Pointez! Larmes! Mains aux yeux! Yeux crevés! Position du tireur fauché! Geignez! Hurlez! Geignez!
La bataille se déplace, s’étend du ciment bleuté des ateliers d’assemblage aux oasis fantasmées d’un pays exotique en 3D, resurgit au cœur déchiré de la vieille Europe.
Nuques roses, nuques jaunes, nuques noires ou café au lait pareillement cerclées de casques ou de bérets, pareillement raidies par la contrainte de la cadence ou du pas cadencé.
Des blancs et des bleus. Et des bariolés, des ouverts, des coupés, des éreintés et des éviscérés.
Ici un adolescent halluciné se laisse étriper pour défendre deux mètres de tranchée,
Ici l’on survit ou l’on meurt au gré des blocus, des cours des métaux, des produits céréaliers. Des humeurs !